Pierre Di Sciullo - 2 avril 2020
Pierre Di Sciullo est un charmant personnage qui aime le graphisme, mais pas que. Il possède une certaine appétence à faire de la typographie, ainsi que de la scénographie et lorsqu'on lui demande comment il se définit au travers de sa pratique, il nous répond que sur sa carte de visite il ne met que son nom et son prénom. Pierre Di Sciullo n'est donc pas designer graphique : il est Pierre Di Sciullo et c'est très bien comme ça.
Comment définiriez-vous le design graphique en deux-trois mots ? J’éprouve moi-même des difficultés à exprimer ce que c’est aux personnes de mon entourage et surtout à leur faire prendre conscience de l’importance que ça peut avoir.
C’est une difficulté qu’on a tous. Aujourd'hui, je suis dans la même situation que vous. C’est rassurant et inquiétant en même temps. C’est à la fois une grande chance : on a beaucoup de liberté, chaque graphiste définit par sa propre pratique ce qu’est le graphisme. En ce qui me concerne, je ne mets pas le terme graphiste sur ma carte de visite. Je l’utilise uniquement pour le service comptable qui aime bien vous ranger dans des cases. Sinon je ne mets que mon nom et mon prénom. Et puis, la situation française diffère de celle à l’étranger ; aux Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre on parle de Graphic Design. On est designer dans le champ graphique.
Aujourd’hui les termes de designer graphique ont quand même été ré-instaurés dans le langage courant, non ?
Oui mais en France on peut être à la fois designer graphique et graphiste.
Effectivement, je me suis toujours demandée qu’elle était la différence entre designer graphique et graphiste. Les gens ont souvent tendance à penser uniquement en 2D lorsque l’on emploie le terme graphiste.
La différence est dans l’attitude. Graphic design ça sous-entend, pour certains mais pas pour tous, que le graphiste n’est qu’un prestataire de service qui met son savoir-faire au service d’une commande donnée. Historiquement en France, le terme graphiste sous-entend plus qu’il est auteur et conscient de sa responsabilité sociale. Tout ça n’est pas uniquement contenu dans les mots mais dans l’usage que l’on en fait. Ce qui est important lorsque vous essayez d’expliquer, c’est finalement ce que vous faites et la façon dont vous le faites.
Lorsque j’essaie d’expliquer l’intérêt de mon domaine, je parle de logos, d'affiches, d'éditions, mais tout de suite je me rends compte que c’est très réducteur par rapport à la réelle liberté de création que j’ai et la créativité que je peux mettre en place.
Si je me mets à faire la liste, comme une sorte de collection, de tout ce que j’ai pu faire, ce serait très vaniteux. Comment dire. Je peux faire du travail de photo sans être photographe. Il existe une belle définition de Pierre Bernard : « Graphiste : n.masculin/féminin / Généraliste de la mise en forme visuelle : le graphiste dessin « à dessein » - dans le cadre d’une commande - les différents éléments graphiques d’un processus de communication ».
C’est vrai que lorsque l’on peine à définir sa propre formation on peut se demander où est la part artistique et la part publicitaire dans le design graphique.
Si je regarde les intitulés de toutes les formations dans lesquelles je suis intervenu en tant qu’enseignant, c’est la confusion. Parfois, on parle de conception graphique, d'édition ou de multimédia. Ce dernier est considéré une fois sur deux comme une discipline à part entière et le reste du temps comme une simple technique.
On essaie souvent de nous imposer des spécialités « print » ou « web » quand bien même on est amené à faire les deux.
C’est agaçant. Aujourd’hui, je travaille avec des architectes : ça rentre dans aucune des cases en question. Je suis en train de définir avec ces architectes quelles couleurs et quelles matières on va poser sur des façades, sur dix-sept tours à Nanterre. En terme d’échelle, de temps, de collaboration, c’est un travail particulier.
Cela reste rare malgré tout, mais c’est là où je trouve que le travail du graphiste est le plus beau, quand il ne se cantonne pas au domaine de la communication et qu’il parvient à s’exporter à la signalétique, dans des bâtiments, qui implique un regard différent, autre que celui que l'on peut avoir face à des affiches car elles sont tellement nombreuses aujourd’hui qu’on se retrouve noyé. Sur un bâtiment, les gens vont tout de suite comprendre qu’il y a eu de la recherche derrière.
Dans l’équipe avec les architectes, tout d’un coup on m’appelle le plasticien. Pourquoi ? Parce que les gens qui ont fait le règlement du concours ont écrit le cahier des charges de telle sorte que les architectes doivent diriger l’équipe de maîtrise d’œuvre face à la maîtrise d’ouvrage. Ce sont de très vieilles définitions typiquement françaises qui datent du Moyen-Âge, du temps des cathédrales. Les travaux duraient 40-200 ans donc il fallait bien que quelqu’un soit responsable du chantier et paie les ouvriers ; tout cela concerne la maîtrise d’ouvrage. La maîtrise d’œuvre c’est l’architecte, celui qui suit le chantier et les artisans, la façon dont on procède pour approuver ou non ce qui est fait au fur et à mesure.
Tout à l’heure vous me parliez des écoles dans lesquelles vous aviez pu intervenir, et je voulais savoir si vous aviez suivi une formation spécifique pour arriver ou vous en êtes.
Non, j’ai suivi une malformation plutôt. Je suis autodidacte. Je suis entré dans une école d’arts appliqués, l’école Olivier de Serres. J'ai eu la malchance de tomber sur une année où il y avait une équipe de profs très nulle et puis j’étais impatient, j’en avais vraiment marre de la scolarité. Donc je suis resté trois mois dans cette école et encore… Au bout de trois mois, j’ai mis sur ma table deux petits paquets : à gauche, ce que j’avais fait dans le cadre de l’école et à droite ce que j’avais fait de mon côté. J’ai trouvé que ce que j’avais fait de mon côté était bien plus intéressant, que c’était là où allait mon cœur, ma passion, mon intérêt. Je trouvais que tout ce que j’avais fait à l’école était sans énergie. Que je n’avais rien appris. Donc j’ai décidé de partir, en contrariant le seul bon prof que j’avais là-bas et mes parents. J’ai fait tout à la fois : je suis parti de chez mes parents et de l’école et j’ai commencé à respirer. Je me suis senti extrêmement soulagé. J’ai ensuite enchaîné les petits boulots et j’ai appris sur le tas le métier de graphiste. Quand je suis sorti de l’école je ne connaissais rien, le mot typographie je ne le connaissais même pas mais j’avançais de rencontre en rencontre, d’expérience en expérience, de stage en petit boulot.
Vous pensez qu’il n’y a pas plus formateur finalement qu’une rencontre qui va permettre d’apporter quelque chose de concret ?
Eh bien, ça dépend, Les bonnes écoles c’est génial : ce qui est formidable c’est qu’il peut y avoir un effet de groupe, une émulation.
Lorsque vous avez décidé de partir et de faire votre chemin à part, vous aviez conscience de l’importance qu’avait le design graphique et de tous ses enjeux ?
Pas du tout, je n’avais conscience de rien. J’avais des envies, des idées très arrêtées sur certaines choses, des a priori généralement très stupides, d’autres auxquels je crois toujours. J’avais envie de faire des images, de faire des expériences, de faire partager mes goûts pour la lecture.
La lecture vous a beaucoup influencé dans votre travail ?
Ça a été plus qu’une influence : la lecture m’a nourri. Je suis parti de l’école à 19 ans et lorsque j’avais 21 ans, j’ai entrepris de créer la publication d’un petit truc indéfinissable, des photocopies reliées par une agrafe que j’ai appelé « Qui ? Résiste ». Ça m’a servi de support d’expérience.
Qu’est-ce qui vous a donné cette envie finalement, de lancer ces ouvrages ?
Eh bien, j’ai fait quelques belles rencontres : les membres de Grapus, puis Roman Cieslewicz mais lorsque je les ai rencontrés, j’avais déjà publié le numéro 1 de « Qui ? Résiste ». Alors, qu’est-ce qui m’a donné envie de le faire ? Il y a une question de circonstances : il faut savoir qu’à ce moment là le prix des photocopies a chuté en quelques semaines. Bon je vous dis ça de mémoire mais en 1980 une photocopie valait environ 1 franc alors qu’en 1982 une photocopie valait 10 centimes voire 1 centime. L’effondrement des coûts des photocopies a rendu possible la publication de choses très marginales. Il y avait une librairie extraordinaire, la Hune, qui était boulevard Saint Germain à Paris et puis une autre qui s’appelait Les yeux fertiles et celle du centre Pompidou. On pouvait y déposer des revues pour les vendre : je déposais 10 exemplaires et je leur donnais 35%. Cela me permettait de récupérer une petite partie de l’argent investi mais j’étais tellement passionné que je m’endettais, je ne vivais que de ça et lorsque je n’en pouvais plus, et bien je trouvais du travail. C’était une époque où l’on trouvait beaucoup plus facilement du travail.
Il est clair qu’aujourd’hui on est beaucoup plus noyé dans la masse et qu’on a énormément de mal à trouver ne serait-ce qu’un stage.
Bon ce n’était pas tout simple tout simple non plus à l’époque. D’ailleurs, j’avais un a priori, je pensais que la publicité était quelque chose d’insupportable, de détestable. A priori que j’ai toujours aujourd’hui. A l’époque j’ai rencontré quelqu’un de sympathique, Bruno Richard, qui était directeur artistique dans une boîte de pub et auteur, et qui m’a dit de venir le voir avec un annuaire de boîtes de pub pour voir si je ne pouvais pas me faire engager comme illustrateur Freelance. Je n’y croyais pas une seconde, mais je me suis dit que j’allais quand même suivre son conseil. Donc on a fait la photocopie d’un index avec des adresses de boîtes de pub et il m’a dit lesquelles étaient les plus intéressantes, les plus inventives. J’y suis allé et à chaque fois on m’a dit cette phrase magnifique : « on vous écrira ». Je croyais que personne n’allait oser me dire cette phrase ridicule et j’ai répondu « mais pourquoi vous me dites ça, vous savez très bien que vous n’allez pas m’écrire ». Ces contacts avec les gens de la publicité m’ont permis de vérifier que je n’avais pas du tout envie de travailler avec eux. J’ai commencé à travailler un petit peu en tant qu’illustrateur dans la presse magazine, pour décorer, sans rapport avec le texte et ça ne m’a pas plu non plus. On ne parlait jamais du rapport texte-image.
Vous avez travaillé longtemps en tant qu’illustrateur de presse ?
Ah non, non. En plus, j’étais payé trois francs six sous. Donc j’ai commencé à avancer dans ce métier plutôt par élimination et je suis entré à la maison des artistes en 1985, non pas en tant que graphiste mais en tant que peintre-décorateur dans le théâtre, après avoir rencontré un copain qui m’a dit qu’il y avait une équipe qui se formait pour une émission de télé, avec des pièces de théâtre de boulevard. Les pièces étaient assez médiocres mais il y avait une forme d’amitié et de compagnonnage dans l'équipe. Les peintres décorateurs faisaient des décors-type très coincés, académiques et très bourgeois, pour la télé quoi, mais pour la première fois de ma vie, je commençais à bien gagner des sous. Moi ce que je voulais vraiment c’était concevoir les décors, mais ça, c’était exclu. J’ai mis un peu d’argent de côté, car ce que je voulais faire au fond de moi c’était « Qui ? Résiste ». J’ai fait également un autre boulot alimentaire, j’étais agent animalier, j’ai gardé des singes. J’avais droit à un bureau et à une photocopieuse. C’est là que j’ai commencé à faire « Qui ? Résiste ». Puis, ils m’ont mis à la porte mais en me faisant un cadeau, très inattendu et sûrement involontaire, ils m’ont offert un an et demi de chômage. J’ai tout de suite loué une pièce dans un atelier collectif et j’ai commencé à faire le numéro 1 de « Qui ? Résiste », puis le 2, puis le 3 et j’ai bossé comme un dingue jusqu’à maintenant.
Quelle réception y a-t-il eu autour de « Qui ? Résiste » au début de son existence ?
Eh bien, lorsque je rencontrais un client, si je sortais « Qui ? Résiste » comme référence pendant au premier contact, à la première rencontre, c’était le meilleur moyen pour perdre le client. Les commanditaires avaient du mal à imaginer que je savais faire deux choses différentes à la fois. Par exemple, je repense au numéro 2 de « Qui ? Résiste » avec des masques africains et un client m’a dit « ah oui, non mais moi ce n’est pas du tout de masques africains dont j’ai besoin » et même après avoir expliqué que cela n’avait rien à voir avec ses besoins, que c’était dans le cadre de ma recherche, il m'a répondu « mais quel rapport entre les masques africains et les philosophes ? ». Il y a des gens que ça inquiète, le fait que le graphiste puisse avoir des idées. Et puis, petit à petit, au bout de quelques années, les gens venaient me voir pour mon travail de recherche, après avoir vu les numéros de « Qui ? Résiste ». Mais il y a des années de travail pour arriver à cette situation.
Est-ce que vous voyez le monde qui nous entoure différemment depuis que vous avez commencé votre métier ?
On est tous un peu déformé professionnellement. À quoi repère-t-on un graphiste dans la rue ? C’est le seul qui regarde une affiche comme ça (la tête complètement inclinée sur le côté), il cherche la signature. Un torticolis à gauche c’est forcément un graphiste. Par ailleurs, là où certains vont lire « coiffure » je vais me dire tiens, c’est le Mistral d’Excoffon ou une typographie d’Eric Gill ou bien une typo que je n’identifie pas et que je trouve intéressante, donc photo, identification documentation… Une fois qu’on a le regard informé, ouvert sur des choses, c’est difficile de passer outre. Si vous le faites aussi, rassurez-vous : vous n’êtes pas mutante. Mais il est vrai que les menus de restaurant sont tellement des exemples d’horreur que ça me coupe presque l’appétit.
C’est bien vrai mais il m’est déjà arrivé personnellement d’avoir de belles surprises tout de même et d’aller jusqu’à prendre des menus de restaurant en photo.
Oui, des surprises étranges ! Un jour, je passe devant un restaurant dans le Sud de la France et je vois l’enseigne et là, incroyable : c’était mon travail ! Je rentre dans le restau, je demande le menu : une copie conforme. Une fois rentré chez moi, j’ai mandaté un avocat qui a écrit au restaurateur : le lendemain, l’enseigne était démonté. Car la contrefaçon était évidente. Du vol de formes, pur et simple. Quand les gens copient des typos, ils n’ont pas forcément conscience de faire un geste, de voler quelqu’un.
Les gens ne se rendent pas bien compte que les lettres et les caractères ont un créateur et une importance singulière. Il m’est déjà arrivé d’avoir une discussion avec un proche où j’essayais de lui expliquer l’importance d’avoir différentes typographies et je me souviens très bien qu’il m’ait répondu qu’elles étaient toutes identiques pour lui.
Ah oui, ça c’est normal. L’écriture est tellement présente qu’elle en devient invisible.
C’est bien vrai mais tout de même, en insistant et après lui avoir fait visionner quelques épisodes de Sacrés Caractères, notamment celui sur Comic Sans et Helvetica, la personne continuait d’affirmer qu’il ne s’agissait à ses yeux que de lettres.
Mais elle a raison, après tout. Ce ne sont que des lettres. Il ne faut pas rester sur son petit précarré. Il m’est arrivé comme ça, d’avoir de belles surprises : dernièrement, j’ai reçu un message d’un éducateur à Marrakech dans un quartier très populaire, qui m’a montré comment il faisait fabriquer des lettres en plâtre ou en bois à des enfants et à a des adolescents volontaires. Il a vu sur internet que j’avais créé le caractère Tifinagh qui est l’écriture berbère, et il m’a demandé l’autorisation de l’utiliser. Et pour cette demande il avait préparé pour moi une image où ils composé les mots « Qui ? Résiste » ; visiblement, le sens de « Qui ? Résiste » ne les a pas laissé indifférents. Je leur ai tout de suite dit oui, et j’attends de voir la suite. De toute façon, l’Amanar est libre de droit : j’ai toujours voulu qu’il soit accessible aux touaregs ou à qui que ce soit.
Ce projet pour le peuple berbère, d’où vous est venu l’idée ?
C’est totalement impromptu, j’ai rencontré chez des amis communs une femme qui travaille dans une association Franco-Touareg. Toutes les informations supplémentaires sont sur mon site « Qui ? Résiste » et dans le livre [L’après-midi d’un phonème]. Elle était en contact avec un imprimeur Touareg, qui voulait imprimer un journal « Républicain », en français et en tamasheq, qui est la langue des touaregs. Pour ça il avait besoin de polices de caractère. Voici le déclencheur de ce projet, qui a par la suite pris d’autres formes. Cela fait maintenant 25 ans. J’ai quand même beaucoup de chance et c’est aussi une des choses qui m’a attiré dans le graphisme : j’ai rencontré des fortes personnalités mais toujours très accueillantes et chaleureuses. J’ai rencontré très peu de véritables idiots.
Est-ce qu’en définitive vous préférez travailler seul ou en équipe ?
Tout dépend de ce qu’on appelle équipe. J’ai beaucoup de plaisir à travailler avec des collaborateurs et des collaboratrices mais ça marche mieux, en ce qui me concerne, lorsque je suis l’auteur et que le travail de collaborateur se passe autour de mon travail, pour des mises au point. Je ne sais pas faire comme mon ami Vincent [Perrottet] qui lui sait partager tout le travail. Je ne sais pas le faire, peut-être parce qu’il y a beaucoup de solitude dans mon itinéraire. J’aime dans ce métier le rapport très social et sociable avec un public, à chaque fois différent, mais qui se fait de manière différé, avec un moment de solitude et de réflexion chez soi et un moment de partage avec des retours qui arrivent ou qui n’arrivent pas. Ce travail indirect et différé me convient : j’aime la solitude de mon atelier et j’aime rencontrer des gens et discuter avec eux de ce qui est important. Je n’ai jamais réussi à créer un collectif et à m’y tenir : on en avait fait un avec Vincent Perrottet et Pierre Milville qui s’appelait « Courage, c’est du graphisme » et je crois qu’il a tenu 6 mois.
J’aurai voulu savoir si vous aviez enseigné, ou bien si vous étiez uniquement intervenu lors de workshop ou autres ?
Je suis beaucoup intervenu comme chargé de cours : pendant 14 ans à l’École des Arts Décoratifs [aujourd’hui la HEAR] de Strasbourg, pendant 2 ans à la HEAD, l’école d’art de design à Genève et je suis intervenu dans de nombreuses autres écoles pour des workshops mais la liste est trop longue. Mais je ne suis jamais devenu prof titulaire, bien qu’on me l’ait proposé à Strasbourg, car j’ai toujours préféré rester un graphiste qui intervient dans les écoles plutôt que l’inverse. J’ai adoré enseigner parce que ce qui me motivait, c’était d’essayer d’être un prof un peu moins nul que ceux que j’avais eu lors de mon passage aux arts appliqués. À chaque fois ou presque, lorsque j’ai travaillé avec des étudiants c’était bien, mais j’ai toujours été heureux de retrouver mon atelier. Pour rendre justice à Olivier de Serres, il est important de dire que j’ai des amis qui y sont passés et qui ont trouvé ça génial, moi seul ai trouvé ça insupportable. Ils ont su trouver ça formidable et contourner les imbéciles : un mélange d’opportunité et de lucidité.
Un peu à part de notre sujet, que pensez-vous de l’écriture inclusive ?
Ça m’agace et j’ai du mal : non pas à faire de la place aux femmes. Ce n’est pas né de bons sentiments et je me méfie toujours mais j’ai un mauvais esprit ; je suis membre fondateur du mauvais esprit permanent. Évidemment c’est un machin qui n’existe pas, c’est pour dire que je trouve qu’il y a des façons en français de le dire et ceci dit, pour compléter le fait que je n’aime pas je vais dire qu’il y a un projet que j’adore : Roberte Larousse, vous connaissez ? C’est un projet très rigide qui produit des tournures machinales et stéréotypées de deux amies artistes Marie Laforêt et Cécile Babiole, qui mènent un projet de féminisation du français. Elle féminise tous les noms épicènes et c’est très bon pour l’esprit.
Une dernière question : après avoir vu un documentaire sur la typographie Helvetica, où différentes personnalités se prononçaient sur le fait d’être pour ou contre ce caractère, je voulais savoir ce que vous en pensiez, si vous preniez position ou si vous trouviez ça absurde de prendre parti pour une typographie, bien qu’elle soit une des plus utilisée dans le monde.
Haha oui, c’est une question qui peut en déboucher sur pleins d’autres. Je ne suis ni pour ni contre l’Helvetica, je me placerai peut-être un peu avant ou après, comment dire. Une fois je me suis mis en colère pendant un workshop dans une école suisse et je leur ai demandé qui avait dessiné l’Helvetica, et les étudiants ne savaient pas, et dans quel pays, ils ne savaient toujours pas. On était dans la salle où avait enseigné Emil Ruder, un des plus grands typographes Suisse. Je leur ai dit « Vous êtes des ignares ! Des ramolos ! » mais c’est une des rares fois où je me suis en colère contre un groupe d’étudiants. Certaines personnes se font une règle de n’utiliser QUE l’Helvetica, et il y en a qui s’en sortent très bien, comme Experimental JetSet. Moi je préfère inventer de nouveaux caractères et puis bon… En fait je m’en fous, excusez-moi. La question n’est pas là.