Pep Lopez - 21 avril 2020
Pep Lopez est un professionnel de l'édition : directeur artistique, il a créé avec quatre autres personnes « Atelier A3 », qui propose depuis maintenant 2 ans un concours d'illustration d'album jeunesse destiné aux étudiants en école d'art. À travers cet échange, nous plongeons au cœur de ce projet et du métier de cet homme amical.
Qu’est-ce qui vous a amené à créer « Atelier A3 » et le concours d’illustration ?
À « Atelier A3 » nous sommes 5 et nous travaillons tous dans l’édition : il y a deux responsables artistiques, deux éditrices et un fabricant. Nous venons de maisons d’éditions différentes : les éditions Nathan et les éditions Syros, et la fabrication qui est un service transversal. La création de « Atelier A3 » découle de la réponse à un appel à projet au sein du groupe auquel nous sommes rattachés. Avec une des responsables artistiques des éditions Nathan, Ségolène Even, nous sommes arrivés au constat que nous rencontrions peu les jeunes illustrateurs et illustratrices de façon qualitative, du fait du manque de temps, de disponibilité. Un premier rendez-vous avec des débutants doit durer toujours plus longtemps, il y a une phase d’accompagnement et d’explications plus longues autour du book. Nous nous sommes dit qu’il serait idéal de renouer avec ce contact humain. L’occasion également de prendre le temps d’échanger sur des sujets moins centrés sur le « book » mais pouvant être inspirants pour les deux parties. Nous sommes arrivés à l’idée d’un concours pour les étudiant.e.s d’écoles d’art et graphisme uniquement, qui ne se sont pas encore frottés au monde professionnel. Ce serait l’occasion de leur offrir un aperçu de notre métier, d’expliquer nos attentes sur un album illustré, de leur faire découvrir toutes les personnes impliquées autour d’un projet. Et en retour, apprendre des jeunes professionnel.le.s, au travers de leurs projets d’albums. Et peut-être de voir émerger de nouveaux talents. Donc, nous avons trouvé ce nom « Atelier A3 », lancé le premier concours, avec un thème, un nombre de pages et surprenez-nous ! Lors du vote sur la pré-sélection des projets reçus, nous rassemblons d’autres départements de nos maisons d’éditions (Fabrication, Marketing, Responsable Presse-Salons, Administratifs…) afin de partager et recueillir leurs préférences. C’est aussi pour nous une manière plus libre de parler de création car il n’y a pas de pression.
Quelle formation avez-vous suivi ? Saviez-vous dès le début de vos études que vous vouliez travailler dans l’édition jeunesse ?
J’ai fait une formation en Arts Plastiques en faculté. Comment j’en suis arrivé là ? J’ai toujours fait de l’imprimé, de la maquette, des petits journaux pour des associations, j’ai toujours eu le goût de l’édition. Après la fac, j’ai travaillé comme maquettiste en agence de pub, ensuite graphiste « free lance » à Paris. Au bout de 10 ans, j’ai eu l’opportunité de travailler dans l’édition jeunesse, cela m’a beaucoup plu, j’ai continué dans ce secteur. Je travaille à présent pour la maison d’édition jeunesse SYROS. Les personnes que je côtoie viennent d’horizons divers, nous nous retrouvons autour de goûts communs pour l’illustration, l’image, l’édition, c’est comme une famille.
Avez-vous un projet parmi tous ceux que vous avez pu voir ou publier dans votre vie qui vous a marqué particulièrement ?
C’est une question difficile car chaque projet à son histoire. Je les aime tous, à divers niveaux, même ceux qui ont été difficiles, car ils m’ont fait avancer. Je reste attaché aux projets du début, parce que je m’y suis “cassé les dents”. Ils m’ont appris à devenir professionnel. Au-delà des projets, je pense que ce sont les rencontres qui finalement m'ont considérablement marqué. J’ai eu l’occasion, pendant mon parcours, de partager avec des personnes dotées d’un talent fou, d’échanger au travers discussions très inspirantes, eu des moments de complicité « artistique ». Oui, finalement c’est ça le plus important et le plus marquant, les rencontres autour d’un projet.
Vous est-il déjà arrivé de proposer à un élève de publier un album lors de visites de portes ouvertes d’école ?
Il y a deux cas de figure : lorsqu’il s’agit d’un projet de fin d’études, fini et peaufiné, cela nous est déjà arrivé. En ce qui concerne les étudiant.e.s plus jeunes, nous attendons que leurs pratiques gagnent en maturité, dans leur travail, leur réflexion, ils ne pensent pas encore à l’édition, et c’est normal ! L’école est encore un lieu pour expérimenter, pour développer leur style.
Dans quelles écoles vous arrive-t-il le plus souvent de proposer ce genre de projet ?
Cela varie beaucoup selon les années, selon les promotions. Il peut y avoir une année où il y a 10 talents prêts et une année où il n’y en a que 2. Le plus difficile, de toute évidence, est de se lancer et ça, vos professeurs le savent. Les Écoles ne cherchent pas à avoir un formatage pour l’édition jeunesse, mais une diversité de talents, de personnalités, ce qui est bien.
En ce qui concerne le concours « Atelier A3 », l’usage du texte n’est pas autorisé. Comment expliqueriez-vous ce choix ?
Tout d’abord, nous croyons en l’efficacité d’un « album sans parole ». Pour « Atelier A3 » et le concours, nous voulions apprécier votre capacité à imaginer une narration uniquement avec l’illustration, vous poussez à utiliser au maximum ce que vous avez acquis à l’école et vous proposer une occasion de développer votre style. La compétence pour l’illustration et l’écriture ne s'acquiert pas à la même vitesse, ne requiert pas les mêmes expériences (c’est un débat à avoir ultérieurement). Nous ne voulions pas juger une belle illustration desservie par un texte bancal (ou le contraire), mais apprécier une œuvre entière et une narration réussie.
Combien avez-vous reçu de participations cette année 2020 ?
En 2020, pour cette deuxième édition du concours avec le thème « Escapade » nous avons reçu 115 projets sur 310 inscrits provenants de toutes les écoles de France. Nous avons établi une pré-sélection de 16 albums et décidé de 3 vainqueur.e.s (à découvrir sur notre blog !). En 2019, c’était moitié moins, nous sommes ravis de cette évolution ! Nous sommes suivis par les écoles, nous les remercions d’avoir relayé ce concours.
Comment avez-vous choisi l’album Icare l’année dernière ? Cela vous semblait-il être une évidence ?
Dans un premier temps, toute l’équipe « Atelier A3 » s’est réunie en plusieurs séances, nous travaillons avec une grille de critères spécifiques, chacun argumente ses choix, nous avons abouti à la sélection de 15 albums dont « Icare » faisait partie. Aurélie Guillerey et Rémi Saillard, la marraine et le parrain du concours nous ont rejoint pendant une journée pour sélectionner avec nous les 3 projets gagnants. Ils ont eu une très grande importance dans la décision finale, de par leur éclairage et leur vision d’illustrateur et d’illustratrice. Nous avons constaté plusieurs tendances, des univers très attachés à l’enfance, avec légèreté et douceur, et des univers très étonnants comme celui de « Icare » de Armelle Namur. Un album très libre, graphiquement audacieux qui nous a séduit par sa narration. Après une longue discussion, le jury lui a décerné le premier prix pour ces qualités.
Comment avez-vous choisi les thèmes des concours de l’année dernière et de cette année ?
Autour d’un café, nous cherchons des mots qui nous amusent, faisons des associations d’idées, le hasard d’une image…. Pour le thème « Jaune comme » c’est venu d’un simple Stabilo, je coloriais des petits dessins et ça nous a sauté aux yeux, pour le thème « Escapade » et bien on n’a pas vu venir le confinement, mais finalement ça entre en résonance avec l’actualité et ce n’est pas plus mal.
Pensez-vous que vous allez recevoir des propositions en rapport avec le confinement ?
Nous nous sommes posé la même question avec le mouvement des « Gilets Jaunes », qui sont apparus juste après que nous ayons divulgué le thème de 2019 « Jaune, comme » ! Nous n’avons rien eu, nous verrons bien ce que ça donne pour 2020 avec le confinement, peut-être ?
Auriez-vous des conseils pour quelqu’un qui débute ? Afin que la bulle qui éclate lors de la sortie d’études ne soit pas trop violente.
Il nous faut mieux communiquer auprès des étudiant.e.s, pour leur donner des conseils qui pourront leur faire gagner du temps et c’est ce que nous essayons de mener avec le projet « Atelier A3 ». Aujourd’hui, avec le confinement, nous découvrons à nouveau les temps de pause nécessaires et essentiels à la création. Il faut se donner certaines règles et savoir s’y tenir, partager le temps entre la production sur écran et « l’errance créative » en remplissant des carnets d’idées, de croquis. Pour cela, il faut bien analyser les tranches horaires où l’on est efficace en production, et savoir s’arrêter afin de ne pas s’user. Il faut également bien cerner ce que l’on attend de vous lorsque vous vous lancez dans le milieu professionnel. Il me semble important aussi de poursuivre un projet personnel, de s’écouter et de faire ce que l’on aime. En résumé, profiter de ce temps de confinement, pour apprendre à se connaître et à cerner ses objectifs.
Avez-vous un illustrateur ou une illustratrice coup de cœur qui date de votre enfance ?
Ahlala, j’ai lu tellement de livres illustrés lorsque j’étais enfant, encore une étape de mon parcours je pense. Je n’ai pas lu tant d'albums jeunesse d’ailleurs quand j’y pense, plutôt beaucoup de bandes dessinées, surtout issus de l’école Franco-Belge. Bon hmmm euh… Si je ne devais citer qu’un seul auteur que je vénère, ce serait Joost Swarte : il a un trait « ligne-claire » parfois poussé jusqu’au grotesque, ça m’a marqué je pense, plus que tout autre auteur de BD. Plus tardivement, et en album jeunesse, il s’agissait d’une explosion d’illustrations très créatives dans les années 1980 chez les éditions Le Rouergue.
Avez-vous une pratique artistique en-dehors de votre métier ?
Actuellement, je suis vraiment concentré sur mon métier qui est une passion extrêmement prenante, mon activité artistique se situe là.
Selon vous, comment en arrive-t-on à ne plus produire soi-même ? J’entends par là dans votre métier de directeur artistique que vous ne gérez plus forcément l’aspect créatif de vos propres mains, et je voulais savoir si l’arrêt de ce type de création n’était pas trop dur, s’il résulte d’une envie personnelle.
Dans la création il y a différents champs. La production d’un livre est un acte de création en soi. Lors de ce processus, au travers de nos échanges avec les auteurs, les illustrateurs, et toute la chaîne graphique du livre, nous sommes tous impliqués dans sa création. C’est là que mon métier est génial, j'interviens dans de nombreux domaines avec l’aide et la compétence de personnes ayant pour objectif un même projet. Le contact humain, l’interaction est très importante, et c’est là qu’il faut être créatif. Et puis il y a l’évolution du travail avec l’expérience, l’on est amené à réaliser des projets de plus en plus importants, c’est très excitant. N’oublions pas qu’un projet d’édition est fait pour émerger, être diffusé et mon rôle est d'aider à amener ce projet vers un public. On se forme continuellement, et il est primordial de continuer à s’alimenter, se nourrir au travers d’autres champs artistiques ou même les nouveaux médias. Je ne me trouve jamais à l’étroit. Il faut savoir être à l’écoute, être disponible afin d’aider un(e) auteur.trice à mener à bien la publication de son ouvrage. Finalement, quand le projet est réussi et qu’il y a de bons retours, c’est vraiment gratifiant, j’ai l’impression d’avoir créé quelque-chose d’important.